
La panthère bleue. Lâche ton cul camarade : et autres textes
... Aux AG des Beaux-Arts et dans les manifs, elle était du FHAR aussi bien que du MLF. Et elle circulait comme chez elle dans les bureaux des éditions Pauvert, au 8, rue de Nesle, où se croisaient toutes sortes de personnages à vrai dire assez flous. Quelques-uns étaient ses amis ou le devenaient. Comme les dessinateurs qui hantaient les lieux, attirés par l'éphémère Bibliothèque volante dont une livraison fut consacrée aux jeunes graphistes. Guitton et Nicoulaud furent le fleuron du numéro 3. C'est avec Nicole, déjà familière des pages & Actuel et de la contre-culturelle revue Parapluie qu'ils créèrent Zinc, journal « très beau pas cher », premier du genre dit authentiquement underground, qui reste indépassé, mais ne dépassa pas l'année 1974.
Morte dans l'anonymat trois ans plus tard, officiellement d'une méningite - née en 1941, elle allait sur ses trente-six ans -, Nicole Bley brille, en tout cas, aux yeux de ceux qui la redécouvrent aujourd'hui, comme le diamant noir d'un moment, l'immédiat après-68, indemne de toute contamination maoïste, qui trouve aujourd'hui encore un écho parmi les plus irréductibles. Et ne cessera jamais de le trouver.
Chantal Aubry*
Nicole Bley venait de la campagne ou de la zone, ou des deux. On ne sait pas très bien. Et d'ailleurs, peu importe. Elle avait de mauvaises manières, c'était une guerrière, une petite Casque d'or soixante-huitarde mal embouchée. Visage large d'une pâleur étrange, pommettes hautes, un faux air mongol, elle semblait en effet venue d'ailleurs, autant des steppes que des bas-fonds. Cheveux tressés en nattes blondes, elle déambulait souvent à l'époque en tenue d'écolière, tablier noir et grappe de cerises au revers du col, rappel de l'anarchie et de Rirette Maîtrejean, qui fut jadis proche de la bande à Bonnot et qui, peut-être, était son modèle, si tant est qu'elle en eût jamais.
Ce qu'elle aimait surtout, l'auteure de La Panthère bleue, c'était bousculer, braver, faire scandale. D'emblée, la jeune fille « à l'état sauvage », comme l'avait résumée son éditeur, Jean-Jacques Pauvert, étonnait. Elle ne se contentait pas d'écrire des horreurs, elle en disait. Fort tranquillement. Mais si elle écrivait brutalement comme on parle, c'était au prix d'un travail sur la langue qui n'appartenait qu'à elle, ou peut-être aussi, un peu, à ses ancêtres anarchistes de la fin XIXe, ceux du Père peinard, le journal qui travaillait l'argot ouvrier comme l'un des beaux-arts. Mais, digne descendante de Ravachol, ses bombes à elle étaient exclusivement littéraires.
La Panthère bleue, autofiction délibérément pornographique, interdite six mois après sa parution en 1971, avait été suivie de l'indispensable, du prémonitoire Lâche ton cul Camarade, qui fut immédiatement repéré par quelques femmes encore bien rares comme un pur écho du SCUM Manifesto de Valerie Solanas, l'Américaine enragée qui avait tiré sur Andy Warhol. Nicole était de la même famille. Violente, radicale, politique, elle portait en elle une colère lucide. Libre de moeurs comme d'idées, elle faisait ce qu'il fallait pour échapper au système, sans se priver de l'exploiter.
Largeur : 14.0 cm
Epaisseur : 2.0 cm