
Something moves : Caroline Corbasson
L'oeil du cyclone
Le plus souvent un atelier d'artiste ressemble plutôt à un arsenal, où images, livres, rebuts, échecs, traces au sol et griffonnages sur les murs, vieux canapés défoncés, chaises maculées, escabeaux sont les armes et les débris de la lutte. C'est-à-dire un humus fait de tentatives, d'échecs, de courage et de paresse, de rêverie et de frénésie : les vrais matériaux de l'oeuvre.
L'atelier : promesse simultanée d'une chute et d'une main tendue, écrit Caroline Corbasson évoquant l'expérience des quarante-neuf jours de l'hiver arlésien où, l'esprit et le corps retenus dans les murs de la fondation Lee Ufan Arles, il fallut se confronter à un territoire nu, un désert sans épaves auxquelles s'agripper : Jours qui ne voient rien naître à l'atelier : Jours terribles et nécessaires.
Depuis cette vacuité, le secours vint du ciel, du vent, du bleu, des souvenirs et des sentiments dont témoignent ses poèmes. Une sorte de thermodynamique de l'esprit qui, comme celle de l'atmosphère, fait s'alterner hautes et basses pressions, fronts froids et chauds et où la pensée se développe en spirales dont les diverses intensités provoquent des brises inspirantes ou des précipitations plus ou moins fécondes. Caroline Corbasson souvent dessina les noirs absolus de l'univers profond et les rotations majestueuses des constellations les plus lointaines. Cette fois-ci, à Arles, il lui fallut retourner le ciel, quitter l'obscurité duveteuse de l'infini et choisir la fine membrane de cet azur qui protège notre planète. Car il n'y a rien à dire, parfois il faut laisser le bleu être bleu. Mais les couleurs trouvent toujours leur propre dynamique, dans notre oeil ou sur la surface qui les reçoit car comme l'écrit l'artiste : something moves.
Ainsi, en raison du mouvement spontané des fluides, une aquarelle de 1913 de Kandinsky fut longtemps supposée être la première oeuvre abstraite de l'art moderne.
Il paraissait logique aux historiens que, par l'autonomie que s'accorde l'aquarelle quand, la couleur à peine posée sur l'humidité du papier, elle s'émancipe de ses liens avec les gestes du peindre, elle ait délivré l'art de la sujétion aux objets. L'artiste alors aurait délibérément laissé opérer les noces chimiques auxquelles se livraient les pigments, le sec et l'aqueux. Un nouvel art moderne serait né de cette turbulence. Même si nous savons aujourd'hui que cette fameuse aquarelle ne fut pas à l'origine de cet orage historique, ces mouvements font encore effet. Ce sont les mêmes que connaissent bien les amateurs, les enfants, quand ils trempent leur pinceau imprégné de couleurs dans un bol d'eau claire et s'émeuvent des tourbillons moirés qui, à la surface, brièvement, diffusent leurs présages jusqu'à ce que se mêlent les matières et que s'altère la figure.
Ce mouvement, ces apparitions et ces annihilations sont le rythme propre de l'univers. Tout se meut bien sûr. Les masses d'air chaud et froid qui s'affrontent dans l'atmosphère, les paroles d'un poème, le phrasé d'une chanson fredonnée cheminent aussi ainsi et lâchent dans le cosmos comme dans notre coeur ces spirales auxquelles sont soumises nos sensations. Par ces tableaux bleus et dans ses aquarelles et ses poèmes, négligeant les longitudes mais avec grande latitude, Caroline Corbasson établit la carte des forces qui agissent dans l'univers comme dans notre intimité. Les mêmes spirales qui déclenchent en nous des cataclysmes, dans l'atmosphère de terribles dépressions, dans le cosmos ces tourbillons dans lesquels naissent et meurent des étoiles. En mer, dans les nuées ou en nous, ce creux dépressionnaire est le nombril du monde, comme l'est pour les amants celui de l'aimé : le moyeu émotionnel de la dynamique de l'univers comme celui de nos sentiments.
Rafales, spirales, jamais sans vous.
Largeur : 16.0 cm
Epaisseur : 1.0 cm